jeudi 20 mai 2010

Yvette Mordeloup, coiffeuse pour dames


Yvette Mordeloup était coiffeuse pour dames et mangeuse d'hommes. Un feu au cul permanent qui la faisait s'allonger sous tous les mâles que comptait la petite ville où elle officiait. Mais si Yvette avait la cuisse légère, elle avait aussi le cœur lourd car bon nombre de ses amants, réguliers ou occasionnels, étaient les maris de ses clientes. Et ça chiffonnait sa conscience professionnelle ce mélange des genres. Aussi, elle redoublait d'attention pour les malheureuses épouses qui fréquentaient son salon.

Et que je te masse voluptueusement le cuir chevelu, et que je t'illumine cheveux ternes et fillasses de couleurs flamboyantes… sans oublier ce coup de ciseaux à nul autre pareil qui transformait la plus quelconque de ces dames en diva incendiaire.

Mais Yvette avait bien tort de culpabiliser, car la plupart de ses clientes, à tout prendre, préféraient une bonne coupe au coup hâtif et bâclé dont les gratifiaient leurs maris le samedi soir et n'auraient pour rien au monde renoncé à leur rendez-vous bihebdomadaire au salon de coiffure.

Mais un jour, tout bascula quand un représentant en produits capillaires entra dans le salon. Cheveux ondulés, verbe avantageux et œil frisotté, il déballa sa marchandise dans l'arrière-boutique et emballa la coiffeuse aussi sec. Un coup de foudre qui la tétanisa tandis que le gominé la besognait entre deux caisses de bigoudis multicolores. Dès lors Yvette refusa d'ouvrir ses cuisses à tout autre que son VRP adoré. Pire, elle confia sa clientèle aux mains inexpertes de Josiane, l'apprentie, afin de s'envoyer en l'air sans vergogne avec son figaro. Et le salon résonna jour et nuit des hululements orgasmiques de la coiffeuse tandis que Josiane, l'œil bovin et la mèche blondasse, massacrait la chevelure des clientes.

Au bout de quelques semaines, dans le salon, la révolte succéda au mécontentement. Nulle ne souvient comment l'idée germa, mais peu à peu elle enfla et s'imposa comme une évidence : pour retrouver les mains d'or de la coiffeuse, il fallait se débarrasser de l'infâme merlan qui la leur avait ravie. Comme leur esprit étroit de petites bourgeoises provinciales se refusait à commettre l'irréparable, elles se convainquirent qu'il s'agissait d'assistance à personne en danger. En effet, la belle Yvette à force d'arpenter le septième ciel en tout sens et dans toutes les positions s'étiolait et elle, jadis si gironde, faisait peine à voir.

Un matin, après un orgasme si violent que les murs en tremblèrent, Yvette fit une apparition au salon, son peignoir de soie voilant à peine son corps amaigri. Elle adressa un pâle sourire à ses clientes et s'évanouit, entraînant dans sa chute les présentoirs de shampoings en promotion. Horrifiées, les clientes se concertèrent du regard, leur décision prise : ce soir le VRP priapique ne serait plus de ce monde.

Tandis qu'Yvette était transportée à l'hôpital, ces dames s'organisèrent. La bouchère fut chargée d'apporter scies, hachoirs, désosseurs et couteaux, Josiane fut priée de cesser de pleurnicher et de se bouger les fesses pour dénicher coupe-chou, ciseaux et rasoirs bien affutés, les autres clientes se mirent en quête de bassines et de serpillères.

Une fois les ustensiles réunis, elles montèrent à l'étage, madame la maire en tête. Celle-ci entrebâilla la porte de la chambre où le rustre faisait sa sieste et s'immobilisa net en poussant un petit cri. Aussitôt ces dames se pressèrent pour voir ce qui avait troublé la notable. «Nom de Dieu!» s'exclama la boulangère. Sur le lit, le représentant en produits capillaires dormait entièrement nu, exposant à l'assemblée le plus gigantesque engin jamais répertorié. Rocco Siffredi à côté faisait figure de garçonnet prépubère.

Un instant désarçonnées, ces dames se reprirent et se mirent à l'ouvrage. Ce fut un jeu d'enfant grâce à la bouchère, qui connaissait son affaire en matière de découpage. Elles mirent les morceaux dans des sacs qu'elles firent brûler dans la chaudière, changèrent les draps, nettoyèrent les instruments et s'accordèrent un thé au jasmin pour se remettre de leurs émotions. Si toutes avaient remarqué au moment de mettre les restes du représentant au feu que son bel organe avait été subtilisé, nulle n'y fit allusion. Cette belle pièce de l'anatomie du VRP, une fois séchée et empaillée, allait faire une heureuse, c'est sûr.

Quelques jours plus tard, lorsqu'Yvette revint, on lui fit croire que le représentant en produits capillaires s'était fait la malle. La coiffeuse pleura beaucoup et se goinfra de pâtisseries pour se consoler. Puis tout rentra dans l'ordre, elle reprit ses ciseaux pour le plus grand bonheur de ses clientes. Quelques semaines plus tard, la belle Yvette avait retrouvé ses formes pulpeuses d'antan et gratifiait même ses clientes de confidences coquines sur l'attribut viril de son ancien amant. Détails, qui, allez savoir pourquoi, faisaient rougir madame la maire et glousser les clientes.

Ah ! Comme l'humeur était joyeuse, comme l'harmonie régnait au sein du salon ! Jusqu'au jour où une de ces dames fit remarquer à Yvette qu'elle devrait peut-être y aller mollo côté petits gâteaux car son ventre s'arrondissait à vue d'œil. « Ce ne sont pas les gâteaux, murmura radieuse la coiffeuse. Je crois bien que je suis enceinte. D'ailleurs, mesdames, il vous faudra vous trouver une autre coiffeuse car, dès que le bébé sera là, je fermerai le salon pour me consacrer entièrement à lui.»

L'annonce tomba comme un couperet. Des coiffeuses comme Yvette, il n'y en avait pas à des kilomètres à la ronde ! Ces dames se regardèrent déterminées : pas question de renoncer à leurs brushings impeccables et à leurs balayages acajou à cause d'un lardon ! Dans quelques mois, il leur faudrait ressortir désossseurs et couteaux…